LA DOMINATION
DES MULTINATIONALES
LES DELOCALISATIONS
LAVEUGLEMENT DES DIRIGEANTS POLITIQUES
Les multinationales et la doctrine libre-échangiste mondialiste
Comment la nouvelle doctrine du libre-échangisme mondialiste a-t-elle pu
simposer alors quen réalité elle na entraîné que désordres et
misères dans le monde entier?
Il y a sans doute à cela trois raisons essentielles un enseignement
erroné dans toutes les universités du monde, une funeste confusion entre libéralisme et
laissez-fairisme, la domination des multinationales américaines.
Dans mes précédentes publications ( 1 ), jai analysé les conceptions erronées
sur lesquelles sappuient les partisans de la doctrine libreéchangiste mondialiste,
erreurs largement enseignées dans toutes les universités du monde à la suite des
universités américaines. Jai analysé également la funeste confusion entre
libéralisme et laissez-fairisme sur laquelle la nouvelle doctrine mondialiste a fondé
son argumentation politique.
Mais ces conceptions erronées, ces confusions, nauraient jamais
pu simposer si elles navaient été soutenues par les immenses moyens
financiers que procurent les délocalisations aux multinationales.
Les multinationales européennes, et celles du reste du monde, toutes
bénéficiaires du libre-échangiste mondialiste, nont fait que suivre ici
lexemple des multinationales américaines.
Cest un fait que depuis les années soixante-dix les
multinationales se sont multipliées aux Etats-Unis, et à leur suite dans le reste du
monde. Leur nombre aujourdhui est de plusieurs dizaines de milliers ( 2 ). Pour leur
presque totalité elles ont leur siège dans les pays industrialisés. Pour certaines
dentre elles, lexistence de dizaines de filiales, réparties dans le monde
entier, permet tous les abus.
Cette évolution sest poursuivie à un rythme exponentiel. Elle a
abouti à donner des pouvoirs exorbitants et une influence politique tout à fait
excessive aux sociétés multinationales dont les stratégies ne mènent que trop souvent
à des résultats tout à fait incompatibles avec les intérêts nationaux.
Cest sans doute aux Etats-Unis que les pouvoirs financiers et
politiques des multinationales sont les plus puissants. Les délocalisations industrielles
ont permis aux multinationales américaines de réaliser des bénéfices considérables
qui ont accru leur pouvoir et leur influence politique( 3 ).
Incontestablement les multinationales américaines pèsent dun
poids excessif, sinon exorbitant, sur la politique des Etats-Unis. Ce sont elles qui ont
fini par imposer aux gouvernements américains successifs leur idéologie
libre-échangiste, source de leurs profits. Ce sont elles qui ont réussi à dominer par
personnes interposées toutes les grandes organisations internationales. Les
multinationales européennes et celles de tous les autres pays nont fait que suivre
lexemple des multinationales américaines.
Cest là incontestablement un phénomène essentiel de notre
temps que la multiplication exponentielle dentreprises multinationales libres de
transférer leur production partout dans le monde afin de profiter systématiquement des
plus bas salaires.
Des effets majeurs
Au lieu demployer des travailleurs de leurs pays, les
multinationales transfèrent leur production dans des pays à bas salaires, réduisant
drastiquement leurs personnels pour leur substituer à létranger des travailleurs
payés à des salaires très bas aux cours des changes. Puis elles réimportent et vendent
dans leurs pays dorigine les produits ainsi fabriqués à létranger à bas
prix.
Cette politique à entraîné aux Etats-Unis des effets analogues à
ceux constatés en Europe. Les délocalisations ont entraîné une baisse des effectifs
industriels dans la population active américaine denviron 32,6 % en 1974 à 27,5
% en 1997, soit une baisse de lordre de 16 %, alors que ce pourcentage
sétait élevé denviron 25,7 % en 1950 à 32,6 % en 1974, en
augmentation denviron 27 %( 4 ). Parallèlement linégalité sest
considérablement accrue aux Etats-Unis ( 5 ).
Le credo libre-échangiste
Lobjectif du libre-échangisme mondialiste est de créer un
marché mondial des marchandises, des services, des capitaux, et du travail. Le principe
en est que n'importe quoi peut être fabriqué nimporte où dans le monde et vendu
nimporte où ailleurs. Le libre-échange mondial est devenu un principe sacro-saint
de la théorie économique moderne, un dogme universel, véritable religion dont il est
interdit de mettre en cause les prémisses.
La presque totalité des économistes et des hommes politiques sont
totalement dominés, et à vrai dire envoûtés, par cette doctrine. Cette doctrine est
soutenue tous les jours par tous les médias que contrôlent plus ou moins ouvertement les
multinationales bénéficiaires du libre-échange mondialistes.
Les défenseurs de la nouvelle doctrine confondent la rentabilité des
multinationales avec la bonne santé de léconomie mondiale. Ils en arrivent à
considérer que les profits des grandes multinationales et le niveau de leurs cours de
bourse constituent un indicateur fiable de la bonne santé de léconomie et de la
société.
Une réalité indiscutable
En fait, ce que lon constate, cest que le commerce
international est dominé par les intérêts des multinationales et non par les intérêts
des nations dans leur ensemble. Ce que lon constate, cest que léconomie
mondiale est organisée au bénéfice des multinationales et non pas pour satisfaire les
besoins fondamentaux des communautés nationales.
Aujourdhui coexistent deux économies distinctes, celle des
grandes multinationales, et celle des nations. Leurs intérêts ne sont pas seulement
différents. Ils sont antagonistes. A mesure que les multinationales délocalisent leur
production dans des régions à bas salaires au cours des changes, elles détruisent des
emplois dans leur propre économie nationale.
Dans ce système les perdants sont non seulement tous ceux qui sont
réduits au chômage par suite des délocalisations, mais également tous ceux qui perdent
leur emploi parce que leur employeur, nayant pas délocalisé, se trouve ruiné. Ce
sont également tous ceux dont les salaires sont réduits par la concurrence des pays à
bas salaires.
Les gagnants sont tous ceux qui peuvent obtenir des profits énormes en
utilisant des sources pratiquement inépuisables de travail à très bon marché. Ce sont
les sociétés qui délocalisent, celles qui peuvent payer des moindres salaires, et
celles qui ont des capitaux à placer là où le travail est moins cher et où elles
peuvent sassurer ainsi une meilleure rentabilité. Ce sont les dirigeants des
multinationales et leurs actionnaires qui partout sont favorables au libreéchangisme
mondialiste. Ce sont eux qui effectivement senrichissent.
En réalité il nous faut distinguer entre les intérêts des groupes
qui dominent la politique, ladministration et les affaires, et les intérêts des
peuples. Les véritables besoins de chaque pays sont subordonnés de fait aux intérêts
des multinationales, et à vrai dire aux intérêts des dirigeants des
multinationales.
La responsabilité des
dirigeants politiques
Ce système insensé ne se maintient que grâce à la complicité ou à
laveuglement des dirigeants politiques.
Ce sont eux en définitive, et eux seuls, qui sont responsables des
conséquences du libre-échangisme mondialiste, car ce sont eux qui par leurs fonctions
sont en charge de définir le cadre institutionnel des économies.
Le cas de la France
En France les partisans du libre-échange mondialiste soulignent que
grâce aux importations à bas prix en provenance des pays à bas salaires les prix dans
les grandes surfaces ont pu être considérablement abaissés.
Cest là effectivement ce que lon voit, mais, comme
le disait autrefois Frédéric Bastiat, ce quon ne voit pas, cest
laccroissement correspondant du nombre des chômeurs quil faut faire vivre et
dont les allocations sont financées par des impôts accrus. Ce que lon ne voit
pas, cest aussi la destruction progressive de lindustrie.
Certains nous disent que la destruction des emplois dans
lindustrie peut être compensée et au delà par la création demplois dans
lhôtellerie et le tourisme et quune grande partie des écoles
dingénieurs pourrait être remplacée par des écoles hôtelières.
En fait, tous ces arguments seffondrent dès que lon
examine les données de lobservation. Dans mon ouvrage de 1999, La
Mondialisation. La destruction des emplois et de la croissance ( 6 ), jai
présenté trois Graphiques sur léconomie française tout à fait essentiels ( 7
).
[
NOTA du Webmaster : le lecteur trouvera ces graphiques au chapître
"Mondialisation" en cliquant ci dessous ]
Le premier Graphique montre que de
1974 à 1997 le pourcentage des emplois dans lindustrie relativement à la
population active est passé de 27,61 % à 16,24 %, soit une baisse de 41 %.
Parallèlement le second Graphique montre
que le taux de sous-emploi total dans la population active (compte tenu du traitement
social du chômage) est passé de 3,39 % en 1974 à 23,6 % en 1997, en hausse de 696 %. On
constate que la destruction des emplois dans lindustrie na été nullement
compensée par la création dautres emplois.
Le troisième Graphique montre que le
taux de croissance du Produit intérieur brut réel qui était de 4,9 % de 1950 à 1974
est passé à 2,27 % de 1974 à 1997, soit une baisse de 54 %. Si le taux de
croissance de 4,9 % sétait maintenu à partir de 1974 le Produit intérieur brut
réel aurait été de 84 % plus élevé en 1997 et le Produit intérieur brut réel par
habitant aurait été de 64 % plus élevé ( 8 ).
Ces données démontrent combien la politique libre-échangiste
de lOrganisation de Bruxelles à partir de 1974 a été désastreuse pour la
France.
Les mesures protectionnistes
des Etats-Unis en 2002
En fait, des effets analogues se sont constatés aux Etats-Unis.
Au regard des prochaines élections américaines, le Président Bush a
pris des mesures protectionnistes draconiennes en élevant de 20 % le taux
dimposition sur les importations dacier aux EtatsUnis et en augmentant
massivement les subventions à lagriculture.
Contrairement à ce qui est affirmé partout les autorités
américaines ont entièrement raison aujourdhui de sopposer à la destruction
dactivités essentielles pour les Etats-Unis, mais cette politique montre combien
ils ont eu tort dimposer au monde par la voie de lOMC un libre-échangisme
mondialiste sous la pression de leurs multinationales ( 9 ).
__________________
NOTES
1. Voir notamment mon ouvrage de 1994, Combats
pour lEurope. 1992-1994, Editions Clément Juglar, (62, avenue de Suffren, Paris
75015, tél. 145675806).
2. Allais 1994, Combats pour lEurope. 1992-1994, p.
416 et p. 459, note 87.
3. Cest ce qui explique les taux de rentabilité extravagants de
15 % que les multinationales américaines ont pu assurer aux fonds de pension américains
!
4. Economic Report of the President, february 1998, p. 327 et
334.
5. Allais 1994, id., p. 390.
Un américain sur dix avait en 1999 un revenu réel inférieur à son
revenu de 1997. Les classes moyennes (6 américains sur 10) ont vu leur revenu réel
augmenter de 8 % par rapport à 1997. Au sommet de léchelle des revenus, 20 % des
américains ont un revenu réel supérieur de 43 % par rapport à cette date, et un
américain sur 10 a vu son revenu réel augmenter de 115 % sur la même période.
Le rapport de la rémunération moyenne après impôt dun
président de société et celle dun ouvrier dusine est passé de 42 en 1980
à 419 en 1998.
Jamais linégalité na été aussi forte depuis 1945.
(International Herald Tribune du lundi 6 septembre 1999 et Le
Figaro du mardi 7 septembre 1999).
6. Allais, 1999, La Mondialisation, La destruction des emplois et de
la croissance, Editions Clément Juglar, (62, avenue de Suffre, Paris 75015, tél.
0145675806).
7. id., Graphique IX~<, p. 123 ; Graphique VI*, p.
115 ; et Graphique XIIP<, p. 137.
8. Les données statistiques correspondant à ces calculs sont
présentées dans VAnnexe Il de mon ouvrage de 1999, La Mondialisation. La
destruction des emplois et de la croissance, p. 340, 343 et 344. Voir également le Graphique
Il de la page 195, représentatif de la perte de croissance de 1974 à 1997.
9. Sur tous les points ci-dessus voir mon nouvel ouvrage "Nouveaux
Combats pour lEurope, 1995-2002", Editions Clément Juglar (62, avenue de
Suffren, Paris 75015, tél. 01 45 67 18 38 ).